Fan de la première heure de Life Is Strange, et encore plus adorateur de la préquelle Before The Storm, l’annonce de Life Is Strange 2 était pour moi une excellente nouvelle. Une nouvelle aventure narrative avec des choix à enjeux, une écriture qualitative rendant les personnages et lieux attachants et pertinents, avec en plus une patte graphique chatoyante ? J’embrassais l’idée, et m’empressais de me jeter sur Captain Spirit, cette démo technique illustrant le gain en qualité de la production de Life Is Strange 2 par rapport à la première aventure.
Première douche froide : si le personnage de Captain Spirit était sympathique, la courte durée de cette démo technique ne permettait pas de s’attacher à ce personnage, et nous laissait perplexe face à cet enfant ayant visiblement des pouvoirs. Censé constituer un avant-goût de Life Is Strange 2, Captain Spirit se voulait moins fascinant, moins mystérieux : rien à voir avec l’effet produit par le retour dans le temps de Max, et pas d’enjeu captivant à l’horizon tel que la relation Max/Chloé et la disparition de Rachel.
Néanmoins, les épisodes de Life Is Strange 2 commencèrent à sortir, et la hype persistait. Me connaissant, il était cependant impossible de commencer le jeu et d’attendre 3 à 4 mois entre chaque épisode : débuta alors une attente d’environ un an pour que les cinq épisodes soient disponibles, ainsi que l’édition physique – celle-ci étant une douce blague, puisque nécessitant une mise à jour de plusieurs dizaines de Go en plus du téléchargement intégral de l’épisode 5.
Mon aventure aux côtés de Sean et Daniel pouvait enfin démarrer, et très vite, la hype laissait place à l’insatisfaction. Car, souffrant de la comparaison avec Life Is Strange premier du nom, ce deuxième opus perd la plupart des éléments qui faisaient de Life Is Strange un excellent jeu vidéo narratif. Tout d’abord, le rythme de l’aventure est très lent. Sean et Daniel sont en cavale après la mort de leur père, et tout au long de l’aventure on contrôle Sean, qui, du haut de ses 16 ans, doit faire de son mieux pour assurer son rôle de frère auprès de Daniel, 8 ans et seul possesseur du pouvoir télékinésique.
Si l’écriture est toujours aussi qualitative, le problème ici vient simplement des personnages mis en scène, et principalement de Daniel. Tel l’enfant de 8 ans qu’il est, il est capricieux, sensible, et ne contrôle bien sûr pas son pouvoir, qu’il utilise en fonction de ses émotions. Cela a pour effet de consolider les enjeux dans les choix narratifs que l’on entreprend via Sean : chaque action ou parole influera sur la personnalité de Daniel, sa morale, et l’affection qu’il porte à son grand frère. Malheureusement, c’est au niveau de l’aventure que le titre se montre en-deçà des standards de la licence.
Dans Life Is Strange 2, la cavale des héros est laborieuse, parsemée de pauses, d’obstacles aussi idiots que vraisemblants, et le parti pris est de montrer l’ensemble de ces galères, accentuant l’aventure sur la relation entre les deux frères, quitte à avoir un rythme très lent. Manquant d’éléments de comparaison car je n’ai pas fait A Way Out, je me suis tout de même amusé à penser que l’on est bien loin de la cavale hyper dynamique aux multiples rebondissements dans la saison 2 de Prison Break. D’autant que dans Life Is Strange 2, on ne dispose d’aucun pouvoir en tant que Sean : même s’il influe sur l’évolution de Daniel, le joueur est autant spectateur que les autres personnages de l’histoire. Associé au rythme très lent et à un gameplay réduit aux choix narratifs, il est alors difficile de s’impliquer énormément dans cette aventure, voire même de ne pas décrocher entre les scènes. Il faut dire que même dans Before The Storm, si l’on ne disposait pas de pouvoir en incarnant Chloé, le titre avait tout de même le mérite d’innover en termes de gameplay grâce aux joutes verbales. Quant à la magie et au mystère ambiant de Life Is Strange, où l’on était perpétuellement en réflexion par rapport au pouvoir temporel, en plus de toute l’intrigue, tout est ici perdu.
Car Life Is Strange 2, au contraire, joue sur la représentation du monde, tel qu’il est aujourd’hui, et cela grâce aux nombreuses rencontres que l’on fait sur la route. Au cours de la fuite de Sean et Daniel vers le Mexique, on a l’occasion de croiser de multiples personnages, tous très marquants. Si la plupart sont bienveillants, le jeu réserve son lot de surprises, avec des personnages racistes au possible, qui s’en prendront à Sean et Daniel sous prétexte qu’ils aient des origines mexicaines, en dépit de leur nationalité américaine.
Et ces rencontres font le cœur de Life Is Strange 2 : mettre le joueur en quête de liberté, tout en questionnant cette notion de liberté via les rencontres qu’on fait sur notre route, en donnant à voir tout ce que le quotidien nous fait souvent oublier dans le monde réel. Lorsque le jeu nous fait survivre en travaillant illégalement dans une plantation de cannabis, alors que Sean et Daniel vivent aux côtés d’une bande de SDF en forêt, ces personnages ayant chacun leur histoire personnelle nous offrent des discussions très enrichissantes, et le joueur est alors invité à prendre ces réflexions en compte via les choix narratifs : la mécanique de gameplay permet bien souvent d’élargir sa vision des choses, d’évoluer en même temps que le personnage principal.
A vrai dire, n’importe quel personnage de Life Is Strange 2 est plus intéressant que les protagonistes, Sean et Daniel. La faute à une structure scénaristique répétitive et lassante, où Daniel n’en fait qu’à sa tête jusqu’à ce que Sean répare ses erreurs autant que faire se peut, et ce à chaque épisode. Malgré cette réflexion sur la liberté tout au long de l’histoire, Sean persistera dans sa vision de la chose, en aillant pour seul objectif de rejoindre le Mexique. Cette décision ne sera remise en question qu’à la toute fin avec un choix narratif déterminant la fin que vous obtenez.
En effet, si le jeu essaie parfois de confronter Sean et Daniel aux conséquences de leurs actes, en termes de réalisation cela n’impacte jamais vraiment l’histoire : enchaînant délits après délits, les personnages ne sont inquiétés que par le risque de se faire attraper, sans que le scénario ne prévoit à aucun moment de s’attaquer vraiment à cette situation et de plonger ainsi dans le pourquoi du comment du pouvoir de Daniel. Même dans la « vraie » fin (la plus travaillée des deux que j’ai eu, où Sean passe 15 ans en prison tandis que Daniel vit tranquillement malgré l’obligation de porter un bracelet électronique), les enjeux autour du pouvoir de Daniel sont abandonnés, il vit avec comme si de rien était. D’ailleurs, il n’est jamais mis au courant que c’est de sa faute si le policier a été tué au début de l’histoire, à cause de la première manifestation de son pouvoir ! Là encore, le jeu fait totalement l’impasse sur cet enjeu qui n’est pourtant pas des moindres. On est encore une fois bien loin de tout ce que le pouvoir impliquait dans le premier Life Is Strange, avec la symbolique de l’effet papillon.
Le problème vient ici du format épisodique du titre. Avec des débuts et fins de chapitres qui doivent un minimum coïncider, l’évolution des situations est forcément limitée et l’écriture s’en retrouve appauvrie. Ce format un peu bâtard, mélangeant visual novel et aventure par épisode, profiterait par exemple d’une flowchart pour voir les embranchements scénaristiques possibles, ce qui laisserait la possibilité de passer d’un flag à un autre une fois que les conditions d’une route sont remplies (à la façon de Zero Escape : Virtue’s Last Reward par exemple), ce qui augmenterait par ailleurs la rejouabilité.
Mais revenons au propos sur la liberté : si tous les personnages sont plus inspirants à ce sujet que nos deux protagonistes, c’est parce que le jeu gère ses enjeux de la même façon. Il les survole. Le but de Life Is Strange 2 n’est pas tant de proposer une histoire épique avec des enjeux qui s’emmêle et se répondent, au contraire, tout cela est plutôt mal géré. Non, Life Is Strange 2 est plutôt là pour donner à voir le monde, ses réalités, et d’autant plus ses enjeux actuels. A travers des personnages bienveillants qui sont pour la plupart en marge de la société, le jeu dépeint nombre de réalités secouant l’Amérique et le monde entier dernièrement. On y trouve ainsi du racisme avec la question du mur exigé par les différents gouvernements américains (que l’on a le plaisir d’écorcher pour rejoindre le Mexique), mais aussi de l’homophobie avec des personnages bi mais surtout un personnage gay ayant été envoyé en « cure de traitement » par ses parents, et encore du fanatisme religieux (ici issu du christianisme !) avec une secte tentant de s’approprier Daniel et son pouvoir.
Grâce à de nombreuses scènes « tranches de vie », ne faisant pas avancer le scénario mais donnant à voir ces réalités, on ressent ce que peuvent ressentir des personnes opprimées, le jeu poussant le vice au point de nous faire faire des choix narratifs dans ces scènes. Lorsqu’un homme trop costaud et raciste nous agresse et nous demande de nous dénigrer nous-mêmes en espagnol pour son bon plaisir, on ressent le risque pour Sean, et libre à nous d’obéir pour sauver notre peau et partir sans dégâts. Lorsque des miliciens nous capturent et se retrouvent emprisonnés avec nous à un poste de police près de la frontière, libre à nous de s’évader en les laissant croupir, en leur sauvant la peau, ou en se vengeant d’eux avant de fuir. C’est dans ces situations que la mécanique de choix narratifs prend vraiment tout son sens, lorsqu’elle a autant d’importance face aux personnages du jeu qu’elle en aurait dans la vraie vie face à des personnes du même type.
Difficile de ne pas être marqué par les rencontres de cette expérience narrative. Les personnages sont complexes et pertinemment écrits, et je me suis finalement beaucoup retrouvé dans la personnalité de Karen. N’apparaissant qu’à partir de l’épisode 4, la mère des héros est très touchante, et prendre le temps de discuter avec elle permet de remettre en question beaucoup de normes intériorisées en nous depuis toujours. Et Chris, aussi connu sous le nom de Captain Spirit, s’est finalement imposé à mes yeux comme un personnage très touchant alors même qu’il laissait sceptique dans Captain Spirit. Plus réfléchi que Daniel, avec un background autour de son père et de sa mère qui a de la matière pour raconter une histoire passionnante, ce personnage aurait, selon moi, pu permettre une aventure beaucoup plus riche et typée jeu vidéo.
Là où Life Is Strange premier du nom ainsi que la préquelle Before The Storm nous faisait épouser des personnages sensibles à la notion de liberté, Life Is Strange 2 nous fait ressentir bien plus fort l’étouffement de la liberté dans la société telle qu’on la connaît aujourd’hui, et si le jeu s’en retrouve globalement moyen en termes de jeu vidéo, le message qui s’en dégage n’en est que plus fort.
En effet, si Life Is Strange 2 souffre de la comparaison avec son prédécesseur en tant que production vidéoludique, nul doute que le titre est aussi marquant, voire plus, au niveau de son message. Néanmoins, au vu de la pauvreté de l’œuvre en tant que jeu vidéo, force est de constater que ce message risque de passer inaperçu tant nombre de joueurs abandonneront potentiellement le jeu avant même de le terminer, ce qui fait perdre un peu d’intérêt au principal point fort du titre. Par ailleurs, ce type de création aurait peut-être moins de difficulté à briller dans un autre format, tel que le comic book : la licence étant déjà en pleine production de la suite de Life Is Strange 1 (que j’ai trouvé, à titre personnel, vraiment prenant et intelligent) en ouvrage sous le nom de Life Is Strange Collection, il n’aurait pas été choquant d’y proposer et développer cet univers.
Nul doute cependant que la licence Life Is Strange a encore de beaux jours devant elle, et que si Life Is Strange 3 il y a, le studio DontNod saura améliorer la recette pour trouver un juste équilibre entre mécaniques de jeu vidéo et qualité d’écriture avec choix narratifs et messages sociétaux. On les attend au tournant !
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